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Suzuka est un manga Kôji Seo, paru aux éditions Pika.

Yamato Akitsuki quitte sa campagne pour s’installer chez sa tante à Tokyo, qui tient une pension de jeunes filles et des bains. Dès son arrivée dans la capitale, il tombe immédiatement amoureux d’une inconnue qui fait du saut en hauteur. La jeune fille en question s’appelle Suzuka, c’est sa voisine et il va se retrouver dans la même classe. Va alors commencer une lente et douloureuse conquête de son coeur…

Quand j’ai envie de dépenser de l’argent en petite quantité et que je ne sais pas quoi prendre pour me faire plaisir, en général, je vais dans un manga-shop et je fouine. Après quelques gerbes sur des shojos piochés au hasard puis reposés immédiatement, il m’arrive parfois de trouver un truc que je ne connais pas et qui me plait. C’est comme ça que j’ai trouvé A Town Where You Live, manga de Kôji Seo, typiquement dans mon péché mignon : les comédies romantiques adolescentes. Sauf que celle-ci est en cours de publication et que je suis rapidement venu à bout des tomes parus. J’ai donc essayé Suzuka, la série que l’auteur avait réalisée avant.

Les deux sont finalement assez proches et s’inspirent grandement du vécu du mangaka, expatrié de son Hiroshima natale pour vivre sa carrière à Tokyo (on retrouve d’ailleurs beaucoup de thèmes commun, que je détaillerai un jour dans la chronique de A Town Where You Live, quand la série sera achevée (oui, je ne fais plus que des chroniques de séries complètes (sauf pour faire de la pub à des amis talentueux, comme Appartement 44))). Mais la série est moins à propos des petites anecdotes du bouseux qui découvre la vie à la ville (ou vice versa) que des troubles affectifs du jeune Yamato. On est dans du bon gros shônen romantique avec son lot de passages obligatoires (je ne vais pas tous les lister encore… rendez-vous ici) et son héros qui accumule les quiproquos et les gaffes à la chaîne.

Je vais pas vous la faire à l’envers, Suzuka n’est pas le meilleur manga du genre et on lui préférera allègrement les moins bonnes des oeuvres de Kawashita (allez, au pif, Ane Doki). Pourtant, il n’est pas dénué d’intérêt, loin s’en faut, mais il faut plus considérer Suzuka pour ce que peu de manga du genre sont réellement : un reflet réaliste de la société japonaise.

Et oui, car si les premiers volumes insistent avec générosité sur le caractère sein/petites culottes cher aux amateurs du genre, le manga finira par se concentrer sur la relation en Suzuka et Yamato et les tourments qui en découlent. S’il est évident que le couple finira ensemble à la fin de la série, le manga a réussi le tour de force de me surprendre plus d’une fois. Parfois en bien, parfois en mal (il y a un nombre considérable de scènes qui frôlent le pathos insupportable et des décisions du protagoniste qui méritent des baffes). Et c’est finalement au travers de cette relation faite de non-dits et de « je t’aime moi non plus » qu’on peut lever un coin de voile sur cette question : qu’est-ce que c’est qu’être un lycéen amoureux au Japon dans les années 2000 ?

Finalement, quand on lit un manga romantique pour garçons dans le Weekly Shônen Jump, on retrouve souvent un grand nombre de poncifs qui relèvent plus du fan-service qu’autres choses. La question de la sexualité n’est jamais évoquée (ou alors avec un préservatif malheureux donné par un ami bienveillant), les rapports entre garçons et filles sont très stéréotypés, le top du top de l’érotisme se limite à deux mains qui se frôlent, etc. Du coup, Suzuka, prenant parfois le contre-pied, offre – au milieu de pas mal de défauts – une certaine vision plus juste d’une relation adolescente :

  • Manque de communication réciproque,
  • Manque d’information sur les bases de la vie sexuelle (on voit rien, je rassure les plus prudes… de la à dire que la frustration déborde sur l’irréalisme, il n’y a qu’un pas),
  • Relation à distance,
  • Responsabilités familiales,
  • Le poids de la famille et des engagements,
  • Etc.

Dans ma tête, au fur et à mesure de ma lecture, j’en venais à me demander comment – au-delà des nécessaires circonvolutions scénaristiques pour faire tenir la distance à la série – un tel couple pouvait exister avec deux êtres incapables d’exprimer correctement leurs sentiments. Je ne vais pas dire qu’on est capable de mieux gérer tout cela en occident (pas du tout même), mais derrière l’inadéquation sociale et les résolutions débiles de Yamato, j’ai pu y voir une facette peu explorée du Japon dans ce medium (a fortiori dans cette tranche bien particulière du manga), celle de personnes intraverties, subissant de plein fouet diverses contraintes sociales (notamment vis-à-vis de la scolarité) et tentant tant bien que mal de s’y accorder avec les sacrifices nécessaires.

Le manga prend certaines tournures qui m’ont parfois dépassé, me laissant parfois sur un goût de « mais comment peuvent-ils être pleinement accomplis en tant que personnes », mais c’était sans remettre le manga en perspective et en accord avec sa société : ils peuvent être heureux car ils ont dépassé ce que la société (parents, école, amis, etc.) attendait d’eux. Loin du genre harem qui fleurit en pagaille, il préfère se concentrer sur les personnages, leur personnalité et leur relation.

Bref, il s’agit d’un manga un peu plus mature qu’il n’y paraît, donc forcément intéressant.

On pourra mentionner pour ceux qui n’aiment pas lire qu’il existe un anime qui ne couvre que le début de la série. C’est pour cette raison que je n’ai même pas pris la peine de perdre mon temps à mater. Si certains s’y sont penchés, un commentaire à son propos sera le bienvenu.

Suzuka n’est pas le meilleur des shônens romantiques en milieu scolaire, ni le plus drôle, ni le mieux dessiné mais il s’en dégage une certaine fraîcheur et un sentiment de « vécu » certain qui le rendent particulièrement attachant. Il ravivera toutefois les amateurs en manque de came du genre !